passing the fugitive on, 13th Berlin Biennale for Contemporary Art
Sous le titre transmettre l’éphémère, la 13e Biennale de Berlin pour l’art contemporain réunit plus de 60 artistes et présente plus de 170 œuvres. Ces œuvres, réparties sur quatre lieux d’exposition, ouvrent des fenêtres sur une série de contextes géographiques : aux KW Institute for Contemporary Art, aux Sophiensæle, au Hamburger Bahnhof – Nationalgalerie der Gegenwart, ainsi que dans un ancien palais de justice situé dans la Lehrter Straße, à Berlin-Moabit.
La commissaire de cette 13e Biennale, Zasha Colah, fait allusion à travers le titre de l’exposition à la capacité de l’art à définir ses propres lois face à la violence législative exercée dans des systèmes d’injustice, et à envoyer des signes – des messages pouvant être transmis – même dans des conditions de persécution et de militarisation. Transmettre l’éphémère peut ainsi être compris comme un appel ou une pièce-instruction: les visiteurs sont invités à devenir eux-mêmes éphémères, à transmettre ces preuves culturelles de bouche à oreille, jusqu’à ce que leur contenu puisse se matérialiser. L’exposition part de ce moment imprévisible où un acte d’imagination individuelle peut devenir collectif.
Le titre fait également référence au caractère esthétique des œuvres présentées, qui portent en elles des formes de transmission et de matérialisation éphémères, et font appel au corps et à l’oralité. Lorsque l’œuvre d’art parle d’elle-même – à travers des mises en scène théâtrales, des performances, des groupes de lecture, des conférences scientifiques, des tribunaux symboliques, des sessions de spoken word ou des marches commémoratives collectives en ville, mais aussi à travers de petites blagues ou du stand-up – une complicité immédiate se crée entre l’œuvre et le public.
La 13e Biennale de Berlin pour l’art contemporain se tiendra du 14 juin au 14 septembre 2025, sous le commissariat de Zasha Colah.
Valentina Viviani est commissaire adjointe.
Fredj Moussa
Dans ses films à la fois empreints d’humour et de tragédie, Fredj Moussa mêle des motifs paysagers, la narration, et des accessoires absurdes faits de tissus et de déchets recyclés pour mettre en lumière des réalités sociopolitiques. Né en France, cet artiste franco-tunisien aborde fréquemment dans son travail des œuvres littéraires européennes situées en Tunisie, afin de commenter l’étrangeté et l’appartenance.
Son nouveau film constitue une critique pleine d’ironie du mot « barbare ». Même à la Renaissance, période d’éveil culturel en Italie, les préjugés envers ceux qui enrichissaient l’Europe par le commerce et d'autres formes d’échanges culturels restaient tenaces. Ces personnes étaient vues comme des « barbares » soi-disant incultes et effrayants issus de cultures étrangères. Le Décaméron de Giovanni Boccace, un recueil de nouvelles du XIVe siècle, reflète ces préjugés de l’époque. Dans le chapitre intitulé Cinquième journée, deuxième nouvelle, le personnage de Gostanza, désespérée par la mort de son amant, monte à bord d’un bateau qui, poussé par le vent, échoue près de la ville tunisienne de Sousse. De l’autre côté de la Méditerranée, les Romains appelaient cette côte nord-africaine la « côte des Barbares ». Le mot français berbère, utilisé pour désigner les peuples autochtones de la région – les Amazighs –, tire son origine de ce terme.
Comme beaucoup d’autres œuvres littéraires, le recueil de Boccace est aujourd’hui considéré comme appartenant au patrimoine culturel européen. Pourtant, directement ou indirectement, les influences extra-européennes – transmises par les routes commerciales ou la tradition orale – en sont une composante essentielle. De même que les échanges culturels ont toujours été en mouvement au-delà des mers, les images dans le film de Moussa sont elles aussi animées. Par sa poésie visuelle pleine d’esprit, il propose un regard critique sur l’eurocentrisme de la littérature occidentale. Son film interroge les manières dont les perceptions discriminatoires continuent de nourrir le racisme actuel, et comment elles ont pu alimenter les fantasmes coloniaux impérialistes sur la « civilisation » des cultures non européennes.
— Sumesh Sharma
Panties for Peace
Avec son goût prononcé pour la satire et la provocation, le Lanna Action for Burma Committee semble mal armé pour des négociations diplomatiques avec la junte militaire du Myanmar. Pourtant, ce réseau mondial d’activistes entend frapper les vieux généraux là où ça fait mal : sous la ceinture. En mobilisant un arsenal de culottes et la poste comme moyen d’action, cette coalition internationale de femmes détourne à son profit une croyance profondément ancrée dans la culture birmane : selon une tradition, le hpoun – soit le pouvoir et la moralité masculine perçus comme supérieurs – serait affaibli par le contact avec des sarongs ou des sous-vêtements féminins.
Entre 2007 et 2010, le réseau Lanna Action a inondé les boîtes aux lettres des ambassades du Myanmar en Australie, au Brésil, au Canada, en Thaïlande et dans d’autres pays alliés de colis remplis de sous-vêtements féminins adressés à de hauts fonctionnaires du régime. Le comité a également lancé un blog contenant des vidéos mettant en scène leur fameux logo en string, vantant les mérites de voter pour leur parti fictif lors des élections de 2010. Des slogans tels que : « Nos sarongs flottent comme des drapeaux – profitons de l’énergie éolienne. Votez pour nous, le Lanna Panty Party. Nous rendons la lumière au peuple ! » soulignent le caractère parodique de leur campagne.
S’identifiant comme des sorcières modernes, les membres du collectif réactivent les transgressions carnavalesques autour de ce que le sémioticien russe Mikhaïl Bakhtine appelait la « base matérielle et corporelle » de la culture populaire. En attaquant les membres de la junte sur leur terrain symbolique – leur virilité – et en dénonçant leurs actes de violence, les activistes de cette action se révèlent être de redoutables expertes en moquerie et en subversion.
— Claire Tancons