L’information automatisée, appelée Interface Homme Machine, a envahi notre quotidien pour nous délivrer à la fois des messages informatifs et publicitaires ; en ce sens, elle est à la fois l’incarnation des autorités (de gestion, de circulation, de contrôle) et la voix de nos désirs (slogans d’appel, promotions …). Nous autres, humain·e·x·s parcourant la planète, avons tendance à lui faire confiance : l’information automatisée, et sa nouvelle petite sœur, l’Intelligence Artificielle, est plus performante que nous, elle fonctionne jour et nuit, n’a pas besoin de se nourrir ni de se reposer, et sa langue ne fourche pas … À moins que ?
En s’appropriant la programmation de ces machines, les installations de Fanny Taillandier s’amusent à mettre du jeu dans ce monde que l’habitude nous fait considérer comme bien huilé. Les messages que l’on lit semblent officiels mais contiennent des surprises, et les latences de défilement de chaque machine dérèglent un dialogue dont toutes les étapes semblaient prévues par un règlement invisible et tout puissant.
Le jeu sur les machines est aussi un jeu sur et dans le langage : même s’ils sont de la même langue, les mots ne veulent pas dire la même chose selon le lieu où ils sont prononcés, et par qui. Liberté, sécurité, voyage ou appartenance : autant de notions qui ont l’air de tomber sous le sens et dont le sens pourtant n’est pas le même dans les textes régissant les protocoles d’autorisation de passage de frontière ou dans le récit d’une personne exilée, jusqu’à parfois devenir absolument contradictoires – voire mortels.
Les mots, si bien agencés dans le registre juridique, menacent-ils, comme les machines de science-fiction, de nous échapper pour se retourner contre nous ? Ou pouvons-nous encore faire le pari de l’humanité ? L’installation J’AI DEMANDÉ MA ROUTE AU MUR (il m’a dit d’aller tout droit) ouvre la réflexion, accompagnée des photos de Samuel Gratacap qui donnent un visage à la frontière, en tant qu’espace arpenté, vécu et non institué par le discours.
Fanny Taillandier a publié plusieurs romans, fictions et documentaires qui questionnent notre rapport à l’espace, tant dans sa dimension architecturale que dans les liens de mémoire ou d’histoire qui nous unissent à lui. Récompensés de plusieurs prix nationaux, ses livres font aussi l’objet de performances musicales avec la formation Programme Hors Champ. Elle a été pensionnaire à l’Académie de France à Rome - Villa Médicis et résidente à la Fondation Camargo. Son approche plastique développe des installations textuelles sur des supports publicitaires in situ, exposées à Rome (Villa Médicis), en Camargue (Monuments nationaux) et à Paris (CNEAI). En dialogue avec leur environnement, ces textes poétiques et ludiques visent à interroger l’imaginaire des lieux, et nos façons de les habiter.
Photographe dont le travail s’inscrit à la fois dans le champ des arts visuels et celui du photo-journalisme, Samuel Gratacap s’intéresse aux phénomènes de migration et aux lieux de transit générés par les conflits contemporains. Ses projets sont le fruit de longues périodes d’immersion, un temps nécessaire pour comprendre la complexité des situations et restituer ce qui, au-delà des nombres, des flux, des cartes, des données géopolitiques et de l’actualité médiatique, en constitue le cœur : des trajectoires et des expériences personnelles. Son travail a été exposé au Bal (Paris), aux Rencontres de la photographie d’Arles et dans différentes institutions européennes et africaines. Il a été soutenu par le Centre national des arts plastiques (Cnap) et pensionnaire à l’Académie de France à Rome - Villa Médicis.