Diplômé de la Kunstakademie de Düsseldorf, Philipp Röcker est un sculpteur franco-allemand qui vit et travaille entre Bordeaux et Düsseldorf.
Si aux origines, le sculpteur est celui qui taille la pierre, Philipp Röcker est plutôt celui qui la fait naître. En questionnant la notion d’absence et la matérialité du geste, ses volumes monochromes, travaillés en atelier, révèlent les qualités sensibles de matériaux bruts répandus dans le domaine de la construction - plâtre, béton, argile, bronze, bois. Avec une économie de moyens, ses sculptures minérales aussi imposantes que discrètes, rappellent des formes élémentaires autant que des gisements de roches. En explorant l’action de l’homme sur la matière, sa recherche aborde indirectement l’aspérité, la fissure et l’accident. Guidé par l’instinct, ses pièces libérées de toute perfection technique, offrent au spectateur une forme d’abandon, rappelant autant des formes rupestres que des géologies contemporaines.
Pour l’exposition Sentimental buildings, l’artiste présente pour la première fois un ensemble de bronzes de tailles et formes variées qui explorent l’idée du soin et d’attention portée à la matière. Il y parvient par étapes qui tendent à transformer l’éphémère en impérissable. Sur du sable, il dessine audoigt des formes libres dont l’empreinte est ensuite coulée en cire puis en bronze. Allongées au sol, accoudées au mur, en équilibre, chaque pièce réclame que l’on s’approcher d’elle/une proximité du spectateur pour observer la douceur de l’irrégularité autant que la fragilité d’un matériau robuste. L’espace surélevé des Vitrines conduit notre regard vers la lecture d’une multitude de caresses en volumes qui selon leur combinaison construisent un répertoire de formes diverses – une lettre, un volume, un moulage. L’artiste rattache ses constructions sentimentales aux œuvres paléolithiques dont la plupart restent aujourd’hui énigmatiques. Il y ajoute ici la possibilité de devenir sculptures, et y oppose la noblesse du bronze à la simplicité d’un geste.
Trois questions à Philipp Röcker :
Propos recueillis par Anne-Laure-Laure Lestage
La philosophe Donna Haraway aborde dans Vivre avec le trouble (2016) la difficulté de projection dans un futur qui se délie. En tant qu’artiste, comment te positionnes-tu face à ce monde fragilisé ?
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en Europe, nous avons toujours conçu l'avenir comme sûr, au sens de notre liberté et des valeurs qui lui sont associées. Mais depuis toujours, cette sécurité est, était et restera une sécurité́ présumée. Je pense qu'il faut rester en mouvement, et je veux dire par là qu'il faut garder le regard ouvert dans la vie pour percevoir les éventuels moments d'impairs, de ruptures et de manques dans notre environnement. Ce sont aussi ces moments que l'art peut apporter à la société et qui posent des questions sur nous-mêmes et notre environnement.
Ces dernières années, tu as installé un atelier dans Les Landes où tu passes une majeure partie de ton temps lorsque tu n’es pas en Allemagne. Ce nouvel environnement influence-t-il ta pratique ?
Dans les Landes, ma femme et moi avons eu la grande chance de pouvoir construire nos propres ateliers. Il y a une grande différence entre construire son propre atelier et recevoir un atelier tout fait. Je considère que la construction d'un atelier fait partie de mon travail. L'atelier devient une sculpture et une sorte de seconde peau qui s'adapte à mon propre corps au fil des ans. Il y a aussi une différence entre travailler à la campagne et en ville. Je fais les deux et j'apprécie le changement. Travailler en Rhénanie signifie travailler dans un lieu culturellement très fréquenté́. Cela a des avantages et des inconvénients. Et c'est la même chose à la campagne, mais ici, j'ai plutôt le sentiment que, contrairement à la ville, je dois construire beaucoup de choses moi-même, tout comme on plante ses propres légumes ou on apprend une nouvelle langue. Le fruit qui pousse est alors un peu plus tordu que celui du supermarché, mais il est plus fort, a plus de goût et dure plus longtemps.
Sentimental ou buildings ?
Les deux mots sont indissociables. L'un conditionne l'autre. Il n'y a rien de fait sans émotion.